Former l’esprit critique en seconde : un parcours croisé entre littérature et EMI
Comment aider les élèves à exercer leur esprit critique face à l’information, aux manipulations ou aux réseaux sociaux ? Au lycée Cassin d’Arpajon, un projet mené en français et en EMI propose une réponse riche et vivante, au croisement de l’étude des oeuvres et du développement de l’esprit critique.
Esprit critique S’informer et informer
vendredi 13 juin 2025, par
Comment aider les élèves à exercer leur esprit critique face à l’information, aux manipulations ou aux réseaux sociaux ? Au lycée Cassin d’Arpajon, un projet mené en français et en EMI propose une réponse riche et vivante, au croisement de l’étude des oeuvres et du développement de l’esprit critique.
Un esprit critique qui se construit pas à pas
Lire, débattre, douter : une progression en plusieurs temps
Tout au long de l’année scolaire 2023-2024, Marine Parent, professeure de lettres, a conçu et mis en œuvre un parcours d’éducation aux médias et à l’information (EMI) ambitieux avec deux classes de seconde générale, en collaboration avec la professeure documentaliste Sonia Ostaptchouk et partenariat plusieurs intervenants extérieurs. Son objectif : ancrer la réflexion critique dans les pratiques d’interprétation, de lecture et de débat, au croisement des programmes de français et de l’éducation aux médias.
Une progression articulée entre littérature et médias
La séquence s’appuie sur une progression mêlant étude de textes littéraires, analyse d’œuvres d’art, questionnements philosophiques, et travail sur les discours médiatiques. Il s’agit d’amener progressivement les lycéens à comprendre ce qui distingue une opinion d’un fait, à repérer les mécanismes de persuasion, à argumenter de manière rigoureuse et à exercer une vigilance face aux discours trompeurs.
Un parcours progressif pour construire des compétences
Le projet s’est articulé autour de plusieurs grandes étapes, intégrées aux séquences de français et enrichies par des partenariats et des ateliers externes :
- Distinguer subjectivité et objectivité, à travers les arts et le débat esthétique.
- Découvrir les biais cognitifs, et comprendre comment notre cerveau peut nous induire en erreur.
- Apprendre à argumenter, en étudiant la structure des discours et les stratégies rhétoriques.
- Identifier les arguments fallacieux, pour mieux s’en prémunir et les reconnaître dans la vie quotidienne.
- Comprendre la désinformation, en analysant les mécanismes médiatiques et les outils de vérification.
- Explorer l’histoire et les règles de l’information, pour situer l’évolution des supports et des pratiques médiatiques, et connaître les principes de la déontologie journalistique.
- Distinguer savoirs, croyances et science, à partir de textes philosophiques du XVIIIe siècle et d’une réflexion sur les critères de fiabilité.
- Comprendre les logiques de viralité et de polarisation sur les réseaux sociaux, en étudiant les mécanismes de diffusion de la désinformation.
- Décrypter les discours complotistes, pour reconnaître leurs procédés et comprendre les facteurs d’adhésion.
- Apprendre à vérifier une information, grâce à des outils et des méthodes rigoureuses de validation.
Des œuvres variées pour nourrir la réflexion
Les élèves ont croisé leurs apprentissages autour d’un corpus riche et varié, permettant d’aborder l’esprit critique sous des angles complémentaires :
- Art de Yasmina Reza : pour interroger le goût, le choix esthétique, la légitimité artistique, et ainsi distinguer les notions d’objectivité et de subjectivité (séance suivie d’une visite au Musée d’Art Moderne de Paris).
- L’École des femmes de Molière : pour réfléchir à l’éducation, à l’émancipation et à l’exercice de l’esprit critique (une alternative peut être proposée : Le malade imaginaire, oeuvre plus accessible pour des élèves de seconde).
- Le Dernier jour d’un condamné de Victor Hugo, et des discours de Robert Badinter : pour travailler le discours argumentatif et les stratégies argumentatives.
- Textes philosophiques des Lumières (Micromégas de Voltaire, La Dent d’or de Fontenelle) : pour introduire la démarche scientifique.
- Extrait de Santé, science, doit-on tout gober ? de Florian Gouthière (utilisé pour travailler la contraction de texte) et Dans la tête des complotistes de William Audureau : pour comprendre les enjeux contemporains liés à la véracité de l’information.
- Un texte original de Jean-Baptiste Paulin , référent EMI de la médiathèque de Saint-Michel-sur-Orge : pour interroger les limites de la liberté d’expression.
- Les bijoux de la Castafiore (Tintin) de Hergé : pour aborder les dilemmes des journalistes.
Ces œuvres ont permis d’entrer dans des problématiques complexes (liberté de pensée, manipulation, vérité scientifique, responsabilité individuelle) tout en développant les compétences de lecture, de raisonnement et d’argumentation.
Le raisonnement au cœur de la démarche critique
Les élèves sont d’abord invités à réfléchir à la part de subjectivité dans nos jugements, en lien avec l’art et la littérature. Ils découvrent ensuite les biais cognitifs à travers un atelier interactif, qui leur permet de prendre conscience de leurs propres automatismes de pensée. La séquence se poursuit par un travail approfondi sur l’argumentation, fondée sur des textes littéraires et des discours publics, avant d’aborder les stratégies fallacieuses et de participer à un « concours de mauvaise foi », où les élèves sont invités à se prêter à un jeu dans lequel ils manipulent des sophismes et s’exercent à les repérer. Une phase de réflexivité et de retour sur la pratique est alors indispensable pour permettre aux élèves de prendre du recul et développer leur esprit critique face aux argumentatifs. Apprendre à les identifier permet de savoir ce qui a valeur d’argument, de développer son esprit critique et prendre du recul sur les discours.
« Les élèves ont très bien compris le fonctionnement des arguments fallacieux. Ils ont été capable par la suite de les repérer dans des textes ou même dans les propos de leurs camarades ! Très bon investissement dans le concours de mauvaise foi... » Marine Parent
Une séquence est également consacrée à l’histoire, la déontologie et les acteurs de l’information. Puis les élèves interrogent la distinction entre connaissances, croyances et démarche scientifique, notamment sur les réseaux sociaux. Ils travaillent aussi à partir de cas réels analysés grâce à la série Dopamine(Arte), pour comprendre les stratégies d’addiction et captation de l’attention utilisées par les plateformes.
Ce travail est enrichi par des lectures croisées, des recherches documentaires et des supports variés, comme les expositions de la BnF présentées au CDI, des publications issues de la presse, et le parcours de l’esprit critique à la Bibliothèque de la Cité des sciences, dont une réflexion sur l’IA et ses biais.
Un bilan très positif
Ce parcours a permis aux élèves de développer des compétences d’analyse, de discernement et d’argumentation, tout en travaillant l’expression orale et la coopération. Les enseignantes ont noté que les élèves étaient impliqués et intéressés, y compris ceux qui ne se distinguaient pas dans les formats scolaires classiques. Ils ont développé des compétences d’EMI indispensables à l’esprit critique, notamment autour de la distinction fait/opinion, des biais cognitifs ou des stratégies de manipulation.
« Le bilan de l’action est très positif ! Les élèves ont été intéressés par l’atelier qui les a étonnés et leur a montré concrètement à quel point notre cerveau « biaise ». Ils ont été surpris de découvrir les biais cognitifs, dont ils n’avaient jamais entendu parler. » Marine Parent
L’ensemble des actions menées a permis d’ancrer durablement les compétences en EMI dans les apprentissages. Le parcours a également favorisé les croisements disciplinaires et permis de réfléchir à la place de l’information dans la construction de la pensée critique.
Parmi les pistes envisagées pour la suite : renforcer la dimension interdisciplinaire, notamment avec les enseignants de sciences et de mathématiques pour croiser les regards sur les données chiffrées ou les raisonnements scientifiques ; approfondir encore la question du complotisme ; développer la dimension orale et théâtrale autour du discours argumenté.
Ce projet témoigne de la richesse des démarches pédagogiques en EMI et de leur impact concret sur les élèves. Il montre combien l’école peut jouer un rôle central dans la formation d’esprits éclairés, curieux et responsables.
Documents joints
sequence_esprit_critique_marine_parent.pdf
(PDF - 1.1 Mo)
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