Cyberviolences : connaître, prévenir et accompagner

L’éducation aux médias et à l’information peut permettre de prévenir les situation de cyberharcèlement en travaillant avec les élèves les questions de publication responsable, de respect de la vie privée, d’identité numérique et de droits.

jeudi 14 septembre 2023, par Séverine Poncet-Ollivier

Le harcèlement et le cyberharcèlement sont aujourd’hui très imbriqués. Le harcèlement qui peut commencer à l’école trouve désormais un relais dans les applications de messagerie et les réseaux sociaux et s’en trouve amplifié et sans limites.

Mais si les situations de cyberharcèlement sont vécues le plus souvent en dehors des murs et du temps scolaires, c’est bien par l’école que va pouvoir passer l’éducation à la prévention du cyberharcèlement.
Point de départ : la compréhension, par les équipes enseignantes et les élèves, du fonctionnement et des usages appropriés des plateformes numériques, messageries et réseaux sociaux.

Apprendre "la logique de la communication numérique", être capable de la réguler, selon le psychiatre Serge Tisseron : un temps d’éducation au numérique et à ses usages que l’école doit pouvoir proposer aux élèves et qui doit imprégner tous les apprentissages.

Comprendre le cyberharcèlement et les cyberviolences

Dans son ouvrage "(Cyber)harcèlement : sortir de la violence à l’école et sur les écrans", la chercheuse en sciences de l’information, Bérangère Stassin, explique comment les pratiques numériques des adolescents peuvent être le terreau d’agissements violents auxquels tous peuvent être soumis, en tant qu’auteurs ou victimes, par exemple :

  • exclusion sociale en ligne
  • usurpation d’identité
  • outing (révélation de l’homosexualité d’un individu ou d’éléments de sa vie privée)
  • violences verbales
  • slut shaming (blâme d’une fille pour ses tenues ou comportements sexuels)
  • body shaming (insulte en raison de l’apparence physique)
  • sexting (envoi de contenus à caractère sexuel qui peuvent être violents s’ils sont non désirés ou captés à l’insu d’une personne)
  • revenge porn (diffusion par un ou une ex petit(e) ami(e), un ou une amie, un voyeur ou via un piratage, de photos et contenus intimes, notamment pour se venger)
  • happy slapping (film d’une agression dans le but de la diffuser)
  • flaming (lancement volontaire d’un conflit ouvert sur une plateforme)
  • cyberviolences liées au phénomène de groupe...

Ces cyber agressions peuvent être répétées par une seule et même personne ou un petit groupe, ou diffusées, de façon isolée, par un grand nombre de personnes sur les plateformes et les réseaux sociaux. Ces "agresseurs" agissent seuls, mais de façon relativement simultanée et ne mesurent pas la grande portée de leur acte.
En prenant appui sur le slogan « Liker, c’est déjà harceler », l’autrice explique comment "la fragmentation des actions peut conduire à la répétition : un contenu est posté, liké par d’autres jeunes, partagé et commenté à de multiples reprises. Même si chaque internaute n’a effectué qu’une seule action, chacune est un nouveau coup pour la victime".

L’EMI : un levier pour lutter contre les cyberviolences

L’éducation aux médias et à l’information (EMI) est, en appui de l’enseignement moral et civique (EMC), un levier essentiel dans la prévention des cyberviolences et du cyberharcèlement.

L’EMI, organisée de façon rituelle, va entraîner les élèves à exercer leur esprit critique en termes de publication et de partage d’information : doit-on publier ? Doit-on partager ? Quelles sont les mécaniques et les enjeux des rumeurs : qui publie ? Dans quel but ? Comment analyser ces informations ?

Dans sa dimension de développement des compétences de cybercitoyenneté, elle va, en outre, permettre aux élèves :

  • de comprendre le fonctionnement du web et des réseaux sociaux : ce qui se joue sur les réseaux sociaux, qui sont les émetteurs d’information, quel crédit leur apporter, comment s’y associer ou les dénoncer ?
  • d’apprendre à gérer son identité numérique et sa e-reputation : apprendre à connaître les principes de circulation (en termes de viralité, notamment) des contenus numériques, les traces qu’ils peuvent laisser et l’impact durable et négatif qu’elles peuvent sur l’identité numérique, en tant que victime ou émetteur.
  • de connaître la loi en matière de droit à l’image, de respect de la vie privée, de liberté d’expression, de diffamation, d’interdiction de tenir des propos racistes, antisémites, sexistes ou homophobes.
  • de repérer, d’analyser et de déconstruire les stéréotypes (sexistes, racistes, homophobes...) très présents dans l’univers médiatique et qui participent au phénomène de discrimination qui donne naissance aux cyberviolences entre adolescents.

Sur ce point, l’EMC (une des composantes du parcours citoyen avec l’EMI), l’éducation à la sexualité, le parcours d’éducation à la santé viennent en écho à l’EMI quand il s’agit d’étudier es stéréotypes sociaux véhiculés par les médias, les valeurs telles que l’égalité, le respect, les droits de chacun… Elles seront un point d’ancrage pour éduquer à l’empathie, à la gestion de ses émotions, à l’estime de soi, au respect des opinions des autres qui sont les piliers de la prévention contre le harcèlement en milieu scolaire.

Moins de secret, plus de partage : les réseaux sociaux ont radicalement modifié les comportements en matière d’exposition de la vie privée des enfants et des adolescents.
Ils sont un espace dont les ados ont fait leur territoire, dans le but d’échapper au monde des adultes. À l’âge des amitiés fusionnelles, des "bandes de potes", de la prise de distance par rapport au milieu familial, il sont devenus un nouvel espace pour se construire et trouver son identité.
Ils sont aussi un terrain d’apprentissages et de découvertes comme ils pensent en avoir peu dans leur vie quotidienne : comprendre le monde, expérimenter la multiplicité des points de vue, pouvoir donner son avis même si on est jeune...

Les réseaux sociaux "familiarisent les jeunes avec les mondes numériques, mais constituent aussi un nouvel espace d’expérimentation sociale qui leur permet de se définir et de définir le monde qui les entoure. L’adolescent qui fréquente les réseaux sociaux renforce ses compétences sociales, d’autant mieux qu’il va et vient entre les relations réelles quotidiennes et les relations réelles médiatisées par les technologies du virtuel", expose Serge Tisseron dans Grandir avec les écrans

Les réseaux sociaux sont aussi un moyen de répondre à un désir paradoxal d’"extimité" pour les jeunes adolescents, c’est-à-dire de rendre volontairement public des questionnements et des changements liés leurs vies adolescentes, qu’ils souhaitent partager avec leur "communauté" d’adolescents sans forcément mesurer la mise en public que leurs publications impliquent.

Ainsi, accéder à une plateforme ou un réseau social, très jeune, sans avoir associé un adulte, un membre de sa famille à la démarche et/ou sans y avoir été préparé, peut être un des éléments déclencheurs de situations de cyberviolences.

La majorité numérique à 15 ans

La loi du 7 juillet 2023 visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine a été publiée au Journal officiel du 8 juillet 2023. Elle fixe la majorité numérique à 15 ans. En-dessous de cet âge, sans accord des parents, il est, en théorie, impossible pour un mineur de moins de 15 ans d’y avoir accès (source : ViePublique.fr).

Pour la faire appliquer de façon efficace, de nouvelles obligations vont être imposées aux réseaux sociaux qui devront :

  • refuser l’inscription à leurs services des enfants de moins de 15 ans, sauf si un des parents a donné son accord ;
  • informer, lors de l’inscription, les enfants de moins de 15 ans et leurs parents sur "les risques liés aux usages numériques et les moyens de prévention" et sur les conditions d’utilisation de leurs données personnelles ;
  • permettre aux parents, ou à l’un des deux, de demander la suspension du compte de leur enfant de moins de 15 ans ;
  • activer, lors de l’inscription d’un mineur, un dispositif de contrôle du temps passé en ligne. Le jeune devra être informé régulièrement par des notifications.

Pour vérifier l’âge de leurs utilisateurs et l’autorisation parentale, les réseaux sociaux devront mettre en place une solution technique, conforme à un référentiel que doit élaborer l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), après consultation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).
En cas de non-respect de cette obligation, le réseau social pourra se voir infliger une amende pouvant aller jusqu’à 1% de son chiffre d’affaires mondial. Un délai minimum d’un an est fixé pour l’entrée en application du dispositif.

Préparer les élèves

Pour échanger avec les élèves et les aider à prendre du recul et engager leur réflexion, quelques ressources qui peuvent être utiles :

Confronter les jeunes à leurs pratiques (publication, échanges, réactions sur les réseaux sociaux), et les faire réfléchir à leurs usages peut aider à leur faire prendre conscience de la responsabilité qui leur incombe dès lors qu’ils publient sur un réseau social.
Il est également important qu’ils comprennent que leurs actions de publication sur les réseaux sociaux sont très souvent orientées, guidées et encouragées par les plateformes et réseaux qui poussent à la publication et au partage spontané.

Quelques ressources à utiliser en classe, avec les élèves :

En termes d’action concrète, la participation au concours Non au harcèlement peut aider les élèves à rendre concrètes ces réflexions et à les partager en contribuant ainsi, à une éducation entre pairs sur ce sujet.

Le sujet des données personnelles, de leur traitement par les applications en ligne, de la façon dont elles sont stockées n’est pas toujours bien compris par les élèves.

Il est indispensable de mieux les définir et d’inciter les élèves à être plus attentifs à la façon dont ils sécurisent leurs comptes, et quelles informations et images (données) ils rendent publiques. Les origines d’une situation de cyberharcèlement peuvent résulter de la publication volontaire (mais sans conscience des conséquences) de données personnelles.

Elles contribuent également à nourrir l’identité numérique des élèves : des actes de cyberharcèlement ou de cyberviolences dont peut se rendre coupable un élève peuvent constituer un élément de son identité numérique qui ne s’effacera pas et dont on pourra retrouver la trace des années après.

Ces ressources peuvent également servir de point de départ à un travail plus approfondi sur ce sujet :

Même si le Digital Service Act va les clarifier, les conditions générales d’utilisation (CGU) des plateformes et réseaux sociaux restent le plus souvent acceptées sans être lues...
De fait, les élèves donnent leur accord, par exemple, pour autoriser un réseau ou une plateforme sociale à se rendre propriétaire et utiliser librement toutes les images et informations publiées par ses utilisateurs...

La série Dopamine décortique de façon très claire et accessible la façon dont les plateformes commerciales et réseaux sociaux parviennent à happer l’attention des utilisateurs, à les rendre les plus captifs possible. Elle démontre notamment comment les réseaux sociaux parviennent à pousser leurs utilisateurs à agir et réagir constamment aux publications, sans leur permettre de prendre du recul ou un temps de réflexion.
La série est accompagnée d’un guide pédagogique pour aider à l’exploitation de la série en classe.

Ces ressources permettent d’aller plus loin sur ces sujets :

Ces compétences sont également à travailler dans le cadre de la certification PIX qui définit les compétences numériques exigibles en fin de cycle 4 et de cycle terminal pour tous les élèves.

Le cyberharcèlement [1] est un délit. Il est puni par la loi.
Les raids numériques, encore appelés harcèlement en meute sont punis de la même manière. Ce phénomène est constitué dès lors que plusieurs personnes harcèlent une même victime en même temps ou de manière successive. Les membres d’un groupe incriminé peuvent individuellement être sanctionnés sans avoir agi de façon répétée ou concertée.

Selon le Ministère de l’Education Nationale, le cyber-harcèlement se définit comme un « acte agressif, intentionnel perpétré par un individu ou un groupe d’individus au moyen de formes de communication électroniques, de façon répétée à l’encontre d’une victime qui ne peut facilement se défendre seule ».

Les peines encourues sont les suivantes :

  • Si l’auteur est majeur, il risque 2 ans de prison et 30 000 € d’amende. La peine maximale peut aller jusqu’à 3 ans de prison et 45 000 € d’amende si la victime a moins de 15 ans.
  • Si l’auteur est un mineur de plus de 13 ans et la victime a plus de 15 ans, il risque 12 mois de prison et 7 500 € d’amende.
  • Si l’auteur est un mineur de plus de 13 ans et que la victime a moins de 15 ans, il risque 18 mois de prison et 7 500 € d’amende.
  • Pour la mise en ligne d’images intimes d’une autre personne sans son consentement, la peine est de 2 ans de prison et 60 000 € d’amende.

Des règles spécifiques s’appliquent pour les sanctions et les peines des mineurs de moins de 13 ans.

Dans tous les cas, ce sont les parents des auteurs mineurs, quel que soit leur âge, qui seront responsables civilement. Ils devront indemniser les parents de la victime.

  • Le site ServicePublic.fr fait le point sur les démarches à entreprendre pour les victimes et les peines encourues pour les auteurs.
  • La plateforme de signalement des contenus Pharos, est le portail officiel de signalement des contenus illicites de l’Internet.

  • Une formation en équipe et en établissement : la formation à initiative locale "Usages responsables des réseaux sociaux". Le contenu de la FIL peut traiter de la prévention du cyberharcèlement, via l’EMI
  • Formation individuelle : "Réseaux sociaux : prévenir les cyberviolences (à distance, 3h)" pour
    définir et comprendre d’où viennent et comment s’exercent les cyberviolences et comment l’éducation aux médias et à l’information peut permettre de prévenir ces situations en développant des comportements plus responsables.
  • Dans le cadre du programme pHARe, un module de 6h, intitulé : "EMI : s’outiller pour prévenir les cyberviolences" est proposé aux équipes ressources en deuxième année du plan de formation.

Les ressources citées dans cet article également accessibles sur Pearltrees et partageables via l’ENT :

Cyberviolences : prévenir et agir, par clemi_versailles


[1ou cyberharcèlement ou harcèlement en ligne ou cyberintimidation est puni par la loi et est défini par l’article 222-33-2-2 du code pénal, créé par la loi n°2014-873 du 04 août 2014 et modifié par la loi n°2018-703 du 3 août 2018

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