UNE CLASSE MÉDIAS EN CM1-CM2

Créer et développer un média, mode d’emploi

Des pistes pour se lancer

Trois ans après les débuts de la classe médias, les enseignantes pilotes, à l’école Jules Verne de Viry-Châtillon (91), ont acquis une certaine expérience. Un point sur les démarches utilisées pour sensibiliser les élèves au travail des journalistes et les conduire à devenir eux-mêmes producteurs d’informations.

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lundi 17 janvier 2022, par Audrey Plessis

Seul ou en équipe, il peut en effet sembler compliqué de se lancer dans la production d’un média scolaire à l’année : dans quel ordre aborder les choses ; comment répondre aux difficultés liées à la langue et garder des élèves motivés ; quelles pratiques mettre en place pour mobiliser les collègues et faire grandir son média ?

Pauline Laborde, maître formatrice, et Sophie Sureau, enseignent à l’école Jules Verne, établissement classé Rep à Viry-Châtillon (91). Elles ont expérimenté le dispositif Classe médias avec des élèves de CM2 puis CE2. Cette année, elles sont chacune chargées d’une classe de CM1. Si la webradio reste leur média de prédilection, elles expérimentent aussi d’autres supports.

Mettre en place un nouveau projet demande nécessairement d’y consacrer un peu de temps et d’énergie. Leur premier conseil est d’être soi-même intéressé par les médias et leur fonctionnement afin de maîtriser quelques bases que l’on retrouvera quel que soit le support envisagé (presse écrite, radio, TV…). Déontologie des journalistes, structure en entonnoir inversé, règle du « QQCOQP », vocabulaire…, l’article Écrire pour informer, le b.a.-ba reprend l’essentiel à connaître.

Il peut aussi être utile de se replonger dans les programmes du niveau concerné pour avoir en tête tout ce qui concerne l’Education aux Médias et à l’Information (EMI) et pourra être plus particulièrement travaillé avec la classe. Le CLEMI a effectué ce repérage des connaissances et compétences en EMI dans les programmes. Des documents de synthèse sont disponibles sur cette page, de la maternelle au lycée. Le cadre légal est aussi à prendre en compte.

Poser les bases avec les élèves

S’agissant des premières séances, Pauline Laborde identifie deux approches permettant d’aborder le sujet des médias et de l’information avec les élèves :

  • La question « Si je veux faire circuler une information, qu’est-ce que je fais ? » place les élèves en position d’auteurs – émetteurs d’un message. Elle permet de s’intéresser à ce qu’est une information au sens journalistique ainsi qu’aux médias qui diffusent [1] : presse écrite, audio-visuel (radio, télévision) et internet (web et réseaux sociaux).
  • Mais il est aussi possible d’interroger les élèves, en tant que récepteurs d’informations : pour eux, « Qu’est-ce qu’un média et quel est son rôle ? » Ces questions permettent également d’introduire la notion d’information qui pourra être définie à l’aide de contre-exemples afin qu’ils comprennent bien ce qui pourra être abordé ou non dans leur média.

La classe a d’ailleurs produit deux podcasts pour reprendre ces notions essentielles.

Les aspects juridiques sont abordés rapidement, les évènements en lien avec la classe médias étant valorisés sur le site de l’école et les comptes Twitter de l’école (@LaViedeVerne) et de la classe (@CM1Verne). Droit à l’image et à la voix avec les autorisations à faire remplir pour enregistrer et publier des photographies et les voix des élèves, droit d’auteur avec les contenus que l’on peut utiliser ou pas dans le média scolaire. « Les images et les sons doivent être libres de droits avec indication de la source. Et hors citation, il n’est pas non plus possible de copier-coller le travail réalisé par d’autres », insistent les enseignantes.

Il est par ailleurs toujours intéressant d’abonner la classe à un ou plusieurs titres de la presse jeunesse afin que les élèves puissent s’en inspirer tout en s’informant sur l’actualité.

Mettre en place une progression à l’année

Les questions des sources, de leur fiabilité, de l’écriture journalistique avec un angle à choisir ou encore de l’objectivité des journalistes… pourront venir ensuite. De même que tout ce qui tourne autour de la désinformation [2] [3].

Plusieurs séries proposent des vidéos de quelques minutes pour éclairer ces notions, ce qui permet aussi de travailler en "classe inversée". Citons "1 jour, 1 question", "L’information en 5 questions" ou encore "Les Clés des médias" sur la plateforme Lumni. TV5 Monde propose également un dossier "Éduquer aux médias et à l’information" avec des contenus classés par âge et thématique.

Les éditeurs mettent aussi à disposition des ressources et séances clés en main pour travailler sur la presse et les médias, notamment au moment de la semaine de la presse. Le Pearltrees du Clemi de Versailles en recense un certain nombre en accès libre. D’autres sont disponibles sur abonnement ou payantes comme la mallette "Bien s’informer, ça s’apprend" chez Bayard.

Sophie Sureau poursuit : « En fonction du média que l’on envisage de produire ou de ce que l’on souhaite plus particulièrement travailler avec les élèves, il est aussi possible de zoomer sur un type de média en particulier avec, par exemple, un travail sur les Unes [4] et les photos d’illustration en presse écrite ou sur la notion d’angle en radio [5] ».




Les enseignantes ont programmé une heure fixe d’EMI par semaine, dans le cadre de l’histoire géographie et de l’enseignement moral et civique (EMC). Pour rappel, l’EMC compte pour une heure dans le volume horaire hebdomadaire de cette discipline, dont 0h30 pour « des situations pratiques favorisant l’expression orale ». Par ailleurs, dix heures « sont à consacrer à des activités quotidiennes d’oral, de lecture et d’écriture qui prennent appui sur l’ensemble des champs disciplinaires » [6]. Le travail d’écriture et sur l’oral a lieu en français.

CCBY

Réduire les difficultés liées à la maîtrise de la langue

« Une fois que les élèves ont bien compris ce qu’est un média et notamment le média radio, nous écoutons beaucoup d’émissions, notamment France Info Junior et Lundi L’info [ndlr : du groupe numérique du département de l’Essonne], poursuit Sophie Sureau. Les élèves découvrent la structure d’une émission, le fait qu’il y a des rubriques, une musique ou des sons plus ou moins présents, différents intervenants... C’est l’occasion d’introduire le vocabulaire propre à la radio (jingle, tapis, présentateur…). »

Le média radio paraît souvent plus abordable que l’écrit aux élèves. Et même s’ils s’aperçoivent rapidement qu’il leur faut aussi écrire pour préparer les émissions, l’enseignante note qu’ils montrent davantage de motivation que pour d’autres exercices plus classiques. Pour aider les enfants à rédiger leurs textes en "langage radio", elle commence par une phase d’oral avec enregistrement sur des dictaphones. Et c’est seulement à partir de ces audios que les élèves reformalisent à l’écrit pour l’émission. Un moyen, aussi, de mettre en évidence tous les tics de langage. En cas de blocage, ils sont invités à jouer le texte. Les mots viennent ainsi plus facilement.

Dans certains cas, cependant, le manque de vocabulaire et de connaissance des structures syntaxiques complique leur expression. « En travaillant sur le début de l’émission de radio, les élèves ont bien remarqué la présence de formules de politesse. Cependant ils avaient très peu d’idées pour rédiger les leurs », se souvient Sophie Sureau. Les enseignantes conseillent de travailler spécifiquement la thématique à enrichir avec un "remue-méninge" en classe ou, si rien ne vient, en s’inspirant de ce qui existe déjà pour y puiser de l’inspiration.

Sophie Sureau a ainsi compilé plusieurs débuts d’émissions au sein desquels les élèves devaient relever toutes les formules de politesse. Sa collègue remarque : « En réalité, nous procédons de la même manière que pour produire des écrits en français. Quand nous travaillons sur le portrait, par exemple, nous en lisons beaucoup pour relever tous les termes en lien. Cela aide les élèves à se constituer un bagage dans lequel piocher pour leur propre texte. »

Préparer l’interview de Lina Guérin, joueuse internationale de rugby.
CCBY

Les enseignantes utilisent les corolles lexicales de Micheline Cellier. Le centre de la fleur représente une thématique ou un contexte d’utilisation et chaque pétale des termes ayant un point commun (synonymes, contexte d’utilisation…). L’objectif est de réinvestir au maximum le vocabulaire ainsi étudié : dans la production d’écrits en français ou pour la webradio, dans des jeux-devinettes, des mots fléchés… « Les dessins thématiques aident aussi les élèves à retenir. Tout reste dans leur "cahier outil", précise Pauline Laborde. Utiliser le vocabulaire à bon escient, ou certains mots clés, fait d’ailleurs parfois partie des contraintes fixées pour les émissions ». La liste de fréquence lexicale publiée sur Eduscol peut aider à cibler les mots les plus courants, à étudier en priorité.




Pauline Laborde aime aussi faire le lien avec la littérature et les livres étudiés en classe. « De nombreuses nouvelles ou romans courts sont écrits du point de vue de différents personnages ». L’enfant Océan de Jean-Claude Mourlevat ou encore Lettres de mon hélicoptêtre de Clémentine Beauvais, lui ont ainsi permis de travailler l’écriture et l’oralité. « Nous analysons le texte et sa structure avec les élèves afin qu’ils imaginent un autre point de vue, une autre version, une autre fin… à écrire sur le même modèle. » 

Enregistrer tôt dans l’année pour pouvoir s’entraîner

Pour se familiariser avec le matériel et aider les élèves à vaincre leur appréhension de parler en étant enregistrés, les enseignantes conseillent de commencer par des exercices avec peu d’enjeux et des entraînements sous forme de jeux.

« La crainte des collègues, c’est souvent la technique, le matériel... Il est vrai que cela demande un peu d’habitude, reconnaît Sophie Sureau. Mais il faut oser se lancer : trouver un son sur internet pour le générique d’ouverture, enregistrer un sujet, une conclusion et c’est tout. Puis faire un peu plus long et s’intéresser aux différents formats. Ensuite séparer les sujets, ajouter des jingles… Puis, pourquoi pas, les retravailler afin de les adapter aux différentes rubriques ». A l’école, ce sont les enfants manipulent la table de mixage : « Ils comprennent vite comment ouvrir et fermer les micros pendant l’émission. Certains apprécient beaucoup le rôle de technicien mais l’idéal c’est de tourner. »

Pour les entraînements, les enseignantes utilisent des dictaphones, des murs sonores interactifs et des tablettes. Les élèves travaillent seuls ou en binôme avant de passer aux enregistrements. « L’application FranceInfo Junior est idéale pour l’autoévaluation, note Sophie Sureau. L’élève s’aperçoit très vite de ce qui ne va pas, notamment s’il ne parle pas assez fort. » De façon générale, nous sommes peu habitués à entendre notre voix. Ces premiers exercices aident à s’y accoutumer et être plus attentif à tout ce qui vient parasiter le discours. « L’écoute et l’analyse restent primordiales pour repérer ce qui va et ce qui reste à améliorer. »

La grille d’évaluation est travaillée en commun pour définir les principaux critères gages de qualité. Les points de vigilance sont relevés par les élèves . Nous nous contentons de proposer des pistes pour les aider à s’améliorer, précise Pauline Laborde. Débit de parole, articulation, volume sonore, ton plus ou moins expressif... S’exprimer à l’oral, dans le cadre contraint d’une émission de radio, nécessite d’être parfaitement clair, pour être écouté et compris d’auditeurs qui n’ont que le son comme information et ne peuvent revenir en arrière. C’est l’une des premières compétences travaillées via la webradio.


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Tous les élèves s’entraînent même s’ils ne participent pas tous à l’émission. Il peut en effet être difficile de faire intervenir la classe entière lorsque les contenus s’enchaînent sur un temps assez court. Sophie Sureau souligne : « On peut aussi s’arranger pour que chaque élève ait une phrase mais sur le plan du rendu sonore, c’est un peu haché. Mieux vaut alors ajouter un tapis pour que ce soit moins perceptible pour l’auditeur. » Tout dépend des objectifs et de ce que l’on envisage concernant l’émission (partage avec les familles, participation à un concours…).




Communiquer et faire connaître son média

Les deux enseignantes communiquent beaucoup sur leurs actions et leurs résultats : au sein de l’école, des réseaux d’enseignants, sur les réseaux sociaux... C’est en écoutant les émissions que certains de leurs collègues ont eu envie de les rejoindre. Pas forcément pour reproduire le projet à l’année mais pour s’y intégrer le temps de travailler de façon différente ou de valoriser un projet de classe : retour sur une sortie scolaire, interview d’une personnalité accueillie en classe, critique de livres, conception de fausses publicités, débat sur un sujet d’actualité… Les occasions de faire de la radio ne manquent pas.

Depuis ses débuts, en 2017, le projet qui ne touchait alors qu’une ou deux classes, s’est élargi à l’école devenant "Radio Verne". Plusieurs rendez-vous en direct sont programmés dans l’année.

Les enseignant.e.s intéressé.e.s se réunissent en septembre, puis au fil des émissions, pour définir les sujets qui seront abordés. « Le gros travail de la classe médias consiste ensuite à trouver un fil rouge, un déroulé avec une introduction, des transitions et une conclusion qui se tiennent, sans toujours bien maîtriser tous les sujets puisque certains sont apportés par d’autres classes », explique Pauline Laborde.








Mobiliser grâce à des jeux et défis

Le fait d’organiser des jeux et des concours, des contenus où l’écoute va être plus active, aide aussi à mobiliser.
« Les défis proposés dans le cadre de Lundi L’info ont bien aidé à faire progresser les élèves, note Pauline Laborde. Lorsque nous avons commencé la radio, l’émission posait une question et les classes devaient se débrouiller pour trouver la réponse, les bons interlocuteurs à interroger etc. » Depuis, les défis se poursuivent : extraits radio à remettre dans l’ordre, création d’ambiances sonores autour d’un thème donné, bruitage à identifier...

En mars 2021, l’équipe, soutenue par sa direction, a quant à elle souhaité travailler avec le réseau d’éducation prioritaire autour de la semaine des mathématiques. Collège de secteur, écoles de la circonscription... « L’idée, c’était de donner la parole aux élèves, via le téléphone, en proposant des énigmes en direct au sein d’une émission, détaille Pauline Laborde. Nous avons essayé de choisir chaque fois une classe d’une école différente. Les enfants s’entendaient en direct, ils ont adoré ! ».

Chaque année, les deux collègues se saisissent ainsi de différents dispositifs et inscrivent les classes à des concours, notamment Mediatiks (concours des médias scolaires organisé par le Clemi) pour encourager les élèves à se dépasser. La vidéo réalisée pour résumer 2019-2020 et l’histoire de la classe médias donne d’autres pistes.

Se rapprocher des professionnels de l’information

Pauline Laborde et Sophie Sureau soulignent aussi l’aide précieuse apportée par les professionnels de l’information. En 2019-2020, alors qu’elles venaient d’intégrer le dispositif Classe médias, elles ont sollicité Adeline Farge, journaliste professionnelle, marraine de la classe, avec qui elles sont toujours en contact et qui peut conseiller les élèves sur leurs productions. La même année, la classe avait aussi participé à France Info Junior en se rendant sur place, dans les locaux de Radio France ! En 2020-2021, du fait du contexte sanitaire, c’est Estelle Faure, journaliste spécialisée jeunesse, qui s’est rendue à l’école pour échanger avec les élèves et réaliser des enregistrements pour France Info Junior et Salut l’Info.
Et cette année, c’est la classe médias elle-même qui est mise à l’honneur à la télévision ! Tous les quinze jours, le travail des élèves fait ainsi l’objet d’une chronique EMI dans l’émission Télématin. L’occasion, pour les élèves, d’échanger avec l’équipe de tournage et de la voir travailler.

L’aventure Télématin

Un partenariat "télé" bienvenu puisque les enseignantes ont prévu de s’initier à la webTV afin de travailler aussi le langage corporel. La classe a en effet écrit une pièce de théâtre à partir d’un album sans texte, "Le code de la route" de Mario Ramos, qui pourrait servir de matière pour des enregistrements vidéo. Elles insistent : « Quel que soit le projet, la méthode reste la même : s’intéresser à ce que font les autres, professionnels et scolaires, pour s’en inspirer et "co-construire" en équipe et avec les élèves. »





Liens utiles

Portfolio


[1Médias est un terme polysémique, on s’intéresse ici au « Dispositif de communication qui utilise un support technique, [...] permet la publication, la diffusion ou la transmission à distance de l’information. », selon la définition du Wikinotions de l’Association des Professeurs Documentalistes de l’Education Nationale.

[2Dossier pédagogique de l’exposition "Fakes news : art, fiction, mensonge" p. 7-10, Réseau Canopé/CLEMI, mars 2021.

[3"Des fake news aux multiples facettes", Fiche info parue dans le Dossier de la Semaine de la presse, 2018.

[4Séances proposées sur le site du Clemi national (thème "La Une") : https://www.clemi.fr/fr/ressources/nos-ressources-pedagogiques.html

[6Horaires d’enseignement des écoles maternelle et élémentaire : https://www.education.gouv.fr/bo/15/Hebdo44/MENE1526553A.htm

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